aller au contenu

Bertrand du Guesclin, un traître ou pas un traître

Bertrand du Guesclin, fils d’un breton et d’une normande, connétable de France, traître ou pas, traître à qui, à la Bretagne, à la France, à son suzerain.

Charles V perd confiance en Bertrand du Guesclin ?

Château de Chitré, Vouneuil-sur-Vienne. Bertrand du Guesclin prend le château aux Anglais en 1372, Charles V le donne à Jean de Kerlouet qui meurt à Niort en 1376. Charles V donne ensuite le château à Bertrand du Guesclin et lui reprend en 1378 car il est « inactif » en Bretagne contre le duc Jean IV. Traître à Charles V ?

« Du Guesclin est considéré comme « le Ganelon de la Bretagne » par de nombreux nationalistes bretons qui lui reprochent d’avoir fait marcher les troupes du roi de France qu’il commandait en tant que connétable, sur celles du duché de Bretagne, alors indépendant. Il fut pendant longtemps, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, un des héros français qui furent à la République ce que sont les saints aux religions. À cette époque, son histoire, plus ou moins romancée, était présentée comme la vie d’un citoyen modèle, que sa conscience très personnelle avait toujours amené à faire le bien du plus grand nombre, au service de sa patrie. Son image de traître a une double origine :
 
- une origine historique : de son vivant, il subit l’opprobre des partisans de Jean de Montfort qui lui reprochent de soutenir Charles de Blois ; lors de l’épisode du retour d’exil de Jean IV de Bretagne en 1379 (la chanson An Alarc’h le qualifie expressément de traître)
 
- une origine idéologique : les nationalistes bretons du XXe siècle le considèrent comme un traître à la fois en raison de cet événement, mais aussi plus généralement pour son engagement auprès de la France32. Le Mouvement ouvrier social-national breton, groupuscule collaborationniste, a détruit à coup de marteau la statue du Connétable de France se trouvant dans le Jardin des plantes de Rennes en 1941. L’organisation indépendantiste du Front de Libération de la Bretagne fait également sauter la statue de Du Guesclin à Broons le 12 février 1977.
 
Si la première origine de cette qualification de traître est purement partisane (Montfortistes contre Blésistes), la seconde origine est totalement anachronique : l’historien Louis Élégoët fait remarquer qu’il s’agit de la transposition, par les nationalistes, de leur vision moderne du concept de nation, alors que Du Guesclin vit à une époque où un système féodal est en place : ayant pris le parti de Charles de Blois lors de la guerre de Succession de Bretagne, il se positionne en vassal du seigneur de celui-ci, le roi de France Charles V, et, contrairement à nombre d’autres seigneurs de l’époque, ne changera jamais d’allégeance au cours de sa vie en ayant fait une question de principe. »

2016. Laurence Moal étudie les évolutions de l’image de Bertrand du Guesclin

Histoire & Images Médiévales : Quelle a été la réception de Du Guesclin dans la Bretagne contemporaine ?
 
LM : Aux XIXe et XXe siècles, Du Guesclin est perçu comme un héros positif en Bretagne. Il renvoie l’image du Breton qui se bat au service de la France, un message que l’on retrouve dans les manuels scolaires et qui prend tout son sens après la 1ère guerre mondiale. Pour les régionalistes, il faut glorifier l’ancrage de la petite patrie, la Bretagne, dans la Grande patrie, la France. Mais le mouvement breton se radicalise après 1918. On le voit quand le maréchal Foch est invité à Rennes en 1921 pour commémorer le 6e centenaire de la naissance de Du Guesclin. Le connétable est vu comme « un traître à la patrie bretonne » chez certaines franges du mouvement breton. C’est en fait à cette période qu’on assiste à l’essor du séparatisme et la figure de Du Guesclin s’invite dans les débats parfois de manière explosive. À Rennes puis à Broons, des statues sont détruites ou vandalisées. Détruire une statue, c’est aussi une image finalement. Une image pour détruire celle qui a été construite par la IIIe République. »

2015. Bernadette Ramel écrit après lecture de l’ouvrage de Laurence Moal

« Dans un premier temps, l’image de Du Guesclin, resté loyal à Charles de Blois *, sert la royauté. On cultive la figure d’un héros « chevalier exemplaire », du « bon connétable » ou même du « Xe Preux ». Avec la IIIe République, on assiste pourtant à « une républicanisation » du personnage, qui figure alors au Panthéon des « héros français », au même titre que Jeanne d’Arc ou Charlemagne. Ses exploits et ses ruses « bercent l’enfance des Français ». Au tournant du siècle, Dinan lui fait ériger « le plus cher des monuments équestres bretons », encore visible aujourd’hui. Entre les deux guerres, le connétable fait figure « d’homme providentiel ». Le maréchal Foch vient à Rennes pour célébrer les 600 ans de sa naissance, en 1921. C’est à cette période que le mouvement Breiz Atao, dénonce « la glorification d’un traître ». Les nationalistes bretons lui reprochent d’avoir fait marcher les troupes du Roi de France sur celles du Duché de Bretagne.Plus tard, dans le contexte de la Libération, ses faits d’armes sont présentés comme « autant d’actes de résistance à l’occupant », anglais en l’occurrence. Sa popularité ne se dément pas par la suite. »

2015. Pour Frédéric Morvan, Bertrand du Guesclin n’est pas un traître, il s’explique

« Evidemment les historiens des ducs de Bretagne de la maison de Montfort y compris ceux d’Anne de Bretagne (qui est une Montfort) le déclarèrent traître au duc de Bretagne. Ce duc était bien sûr le fondateur de la maison de Montfort, Jean IV. Toute la propagande politique des Montfort fut de détruire les réputations de Jeanne, de ses ancêtres et de ses descendants et bien sûr de ses partisans, et en premier lieu de Du Guesclin. »

Frédéric Morvan précise

« Sa fonction de connétable ne permettait pas à Bertrand du Guesclin de prendre parti mais son inaction empêcha l’annexion de la Bretagne à la France. »

2015. Voici ce que dit Thierry Lassabatère

« Malgré certaines tentatives comme celle d’Henri de Grosmont, duc de Lancastre, pour se l’attacher (si l’on en croit Cuvelier), il semble que Bertrand ait eu la fidélité chevillée au corps, et il ne changea jamais de camp. À ce titre, il suivit Charles de Blois jusque dans la défaite la plus cruelle et la plus absolue, à Auray en 1364. Son parcours peut se lire de la même façon vis-à-vis du roi de France, d’abord Jean le Bon puis Charles V, qu’il servit toujours avec la plus grande fidélité. Ces deux branches, réseau royal et réseau de Charles de Blois, forment d’ailleurs un ensemble global et cohérent de fidélités qui s’incarne à merveille dans la personne de Louis d’Anjou, à leur exacte intersection : à la fois fils de France et gendre du candidat à la couronne ducale de Bretagne.
 
Selon cette grille d’analyse, la querelle de succession de Bretagne est un argument majeur, mais point unique. Le parcours de Bertrand du Guesclin est d’une autre cohérence : il s’explique selon ces jeux de fidélité personnelle et de choix politiques profondément intriqués. À cette lumière, je crois sincèrement qu’il est humainement et politiquement déplacé de parler de trahison de la part de Bertrand du Guesclin. »

Thierry Lassabatère ajoute quelques nuances

« De plus, sa réputation tient aussi au fait que les entourages royaux changent et que donc chacun réécrit l’histoire qui lui est favorable : ainsi le chef militaire est rabaissé comme tous ceux qui furent de la recouvrance du royaume sous Charles V avant de devenir un des principaux supports de l’héroïsation de ce règne dans les années 1390 par l’action du duc de Berry. Ainsi va la gloire… Quoiqu’il en soit, pour l’histoire, Du Guesclin est à la fois traître à sa petite patrie pour être un héros de la grande. »

2014. Pour Jean-Christophe Cassard

« Bertrand du Guesclin excite encore certaines colères explosives, qui surprendraient beaucoup les acteurs de ces siècles de fer. »

2013. Pour Yves Jacob, aucun doute, Bertrand du Guesclin n’est pas un traître

« Certains militants bretons voient en lui un traître à la Bretagne… mais c’est un non-sens historique « consternant ». Dans le monde féodal, on se choisissait un suzerain. Du Guesclin ne s’est jamais trahi, il sera au contraire d’une fidélité exemplaire à Charles de Blois, jusqu’à sa mort. »

1993. Georges Minois ne prend pas position, il trouve la « situation difficile »

« Le rôle de Du Guesclin dans l’histoire militaire tient à sa capacité d’innover, d’inventer des ruses, de s’adapter aux circonstances pour surprendre l’ennemi. Il sait concilier les exigences de la guerre chevaleresque et le réalisme de la guerre de mercenaires. Cet infatigable soldat débarrasse ainsi la France des grandes compagnies, place Henri de Transtamare sur le trône de Castille, chasse les Anglais de France. Mais sa fidélité indéfectible envers Charles V le met dans une situation difficile face à ses compatriotes bretons, et c’est en Lozère qu’il mène ses derniers combats, plutôt que de guerroyer contre les siens. »

Des statues de Bertrand du Guesclin détruites

1988. En août, encore à Broons, une autre statue subit une tentative d’incendie

1977. Le 12 février, un attentat du FLB, Front de Libération de la Bretagne, réduit en morceaux la statue de Bertrand du Guesclin,Place de l’ Eglise de Broons, Côtes d’Armor

1946. A Rennes, la statue de Bertrand du Guesclin, inaugurée en 1825, posée au centre du boulingrin du Jardin du Thabor puis déplacée à l’ouest en 1938, est détruite en 1946.

Durant la seconde guerre mondiale des groupes de résistants se donnent le nom de Du Guesclin, notamment à Broons, Côtes-d’Armor, ou en nord-Aveyron. Ils ne se reconnaissent certainement pas d’un traître à la Bretagne.