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De Monteneuf à Port-de-Roche

19 avril 2015

Monteneuf (56), départ vers 8h.

Un beau soleil, un peu de vent, la journée devrait être belle. Un coup d’œil sur la chapelle Saint-Méen, je crois qu’il guérit la folie. N’est-ce pas une folie cette pérégrination ? Une pensée émue pour le saint breton, à la limite de la prière. Je n’y crois pas trop. Mais, qui ne tente rien n’a rien. Je n’ai pas encore eu de crise de foi, dommage peut-être.

Avec la bénédiction de saint Méen

Après deux kilomètres sur des chemins de terre, me voici arrivé sur la voie gallo-romaine qui va de Carhaix, chez les Osismes, les Gaulois du Finistère, Vorgium à l’époque gallo-romaine, à Angers, 49, Juliomagus, le « marché de Julius » (César), chez les Andes (ou Andécaves). Bien, j’ai un peu étalé ma science.

Maintenant le macadam. Je passe les lieux-dits La Chaussée, Le Cormier, Trélo. A la Landriais, quelques vieilles toitures qui tombent en ruine, de belles ardoises. Je quitte la voie gallo-romaine car je ne vais pas à Angers mais à Ancenis en passant par Grand-Fougeray et Derval. Vous comprendrez pourquoi prochainement.

Trélo. Croix sur la voie gallo-romaine

A droite puis à gauche et c’est le Temple, en Carentoir. Au Boisfaux, une petite agression verbale pour commencer la journée. Je fais une photo d’un linteau où figure un calice, certainement un ancien presbytère, et qu’entends-je : « Quik-té-ty pour faire des photos ? » Un peu surpris, je lui réponds que c’est en bord de route, ce n’est pas interdit. Après coup, je me dis, pour ma défense, qu’avec le look que j’ai, j’aurais mieux fait de lui dire « que j’étais un voleur de poules ». Quel accueil au Temple ! C’est vrai que je ressemble ni à un Templier, ni à un pèlerin. Mon chapeau est un tricorne qui a perdu ses cornes, maintenant, il est à bord modulables, relevé, en gouttière, à plat, en pare-soleil…adaptable aux diverses situations climatiques. L’église Saint-Jean-Baptiste a été restaurée il y a quelques années, elle est superbe, les Templiers en seraient fiers ! A l’intérieur un gisant de bois daterait du 13e siècle. Il n’y en aurait que 3 en France. C’est à voir ! L’église est fermée. C’est mon premier tampon dans mon cahier de route, le début de « ma collection de tampons ». Un excellent café, les encouragements de Marie-Reine et c’est reparti. Marie-Reine, c’est l’âme du village. Merci de l’accueil.

Carentoir, LeTemple, un gisant

En quelques kilomètres, j’ai déjà croisé du beau monde, des Néolithiques, des Gallo-romains, des Templiers, des chevreuils et quatre ragondins, les parents et leurs deux enfants, pas du tout apeurés de ma présence, pourtant clinquante, surtout le sac à dos, tout rouge. C’est vrai que mon chapeau feutre noir, ancien tricorne, devenu plutôt chapeau auvergnat de vendeur de bestiaux et lunettes de soleil, ça en jette ! Pas le choix pour les lunettes, je vais vers le sud-est, alors le matin le soleil est en face. Finalement, c’est bien comme ça, l’inverse ne me convient pas, quand on marche le soleil dans le dos, son ombre est toujours devant, très allongée aux premiers rayons du soleil. On a l’impression qu’il y a quelqu’un devant. Pour la circonstance, je voulais marcher seul, alors il fallait aller vers le sud et l’est.

Broons, colonne commémorative

Avec les Templiers je pense de suite à Bertrand du Guesclin. Certains auteurs disent qu’il en a été Grand Maître. Il nait à la fin des Croisades en 1320 (ou environ) à Broons dans les Côtes-d’Armor, au nord-ouest de la forêt de Brocéliande. Il fait ses premières armes dans cette forêt avec ses compagnons de la région. De là, lui vient le surnom de « Dogue noir de Brocéliande ». « Dogue noir » d’abord certainement dû à sa couleur de peau, un peu brunâtre. On lui affuble « de Brocéliande » plus tard, vraisemblablement pour des motivations très touristiques ?!

Difficile d’écrire en marchant, et quand j’écris, je ne marche pas. Et pourtant, il faut avancer. Je vais à Châteauneuf-de-Randon, pourquoi ? Car c’est là qu’est mort Bertrand Du Guesclin, en 1380. Il parait que personne n’a jamais encore fait ce chemin à pied, alors pourquoi pas moi ? Bertrand du Guesclin, je le connais assez bien, je lis des ouvrages sur lui depuis toujours (ou presque). Il est Breton, chevalier, puis connétable de France en 1370. Il a un cheval, une armure, une lance, une épée, une masse d’arme, une hache, un bassinet 1 sur la tête, tout ce qu’il faut pour me faire rêver quand j’étais gosse. De plus, il a des poings énormes, il est petit, râblé, pas beau, une sorte de vilain petit canard, mais il cogne fort, il a de l’honneur, il gagne souvent, c’est plutôt un « maquisard » qu’un militaire. Il me plait bien ce gars là. Ce Bertrand a une enfance de paysan bien qu’il soit né dans une famille de nobles pas très riches, disent les historiens, pour la plupart. Cependant, on constate que durant sa vie, il a un beau carnet d’adresses. On en reparlera.

Et encore des fleurs, à pied on observe mieux, on découvre ce qui devrait être quotidien, les pruneliers blancs, les pâquerettes, les pêchers couverts de rose, les primevères, les myosotis, quelques genêts fleuris, les violettes, quelle richesse le printemps, à distance d’œil au pied. Des merisiers ouvrent leurs fleurs blanches. Mon dieu que la campagne est belle ! Comme aurait pu le chanter Jean Ferrat.

Les myosotis

Des maisons de schiste pourpre ou bleu ou de grès, avec des toits d’ardoise, les lignolets, les ardoises mêlées à pureaux décroissants. Stop, qu’est-ce que c’est ? J’étale un peu mes connaissances du patrimoine ! Les lignolets sont les ardoises disposées verticalement au sommet de la toiture. Les pureaux sont les parties non recouvertes pas les ardoises supérieures, décroissants car les ardoises sont disposées de façon à avoir les courtes en haut de la toiture et les longues en bas. Mêlées car leurs largeurs sont différentes. Maintenant que vous savez cela, comparez avec les toits couverts d’ardoises identiques et les lignes de crochets inox rutilants au soleil ! Alors, que préférez-vous ? Rien à voir, quelle technique les anciens ! Tout cela pour ne pas perdre le moindre morceau d’ardoise. Malin ! Vous pouvez maintenant épater vos amis !

Le beau travail des anciens couvreurs

Et des pissenlits, et des fougères qui sortent leurs têtes de crosse, et les merisiers et les arbres avec les premières feuilles aux verts multiples. Un régal pour les yeux et oublier les pieds. Le muguet commence à se former, la monnaie du pape est en fleur, les premières roses apparaissent, les glycines affichent leurs grappes. Une boutique de fleuristes à ciel ouvert ! A propos de ciel, les oiseaux sont actifs, on les entend dans les taillis et les arbres, les merles, les magnifiques geais, et puis les pigeons, les pies, dans les bois le pivert ou le pic-épeiche, qui creusent les troncs pourris pour trouver leur casse-croûte, des petits insectes et des vers. Dans les champs, récemment ensemencés, les pigeons et les pies suivent les sillons d’ensemencement pour boulotter les graines. Quelques épouvantails essaient de les chasser mais je doute de leur efficacité. Ils surprennent le marcheur qui, au premier coup d’œil, croit découvrir un paysan au bout de son champ, les bras en croix. Les merisiers tapissent leurs pieds de confettis blancs, les champs sont ou verts ou marrons. Vert des blés, ou herbe plantées cet hiver. Marron de cette terre argileuse qui vient d’être labourée ou très récemment ensemencée. Du blé d’été, des petits pois. Les abeilles commencent à butiner, il fait plus de quinze degrés, cette température leur convient. Il y a également de nombreux bourdons au vol très reconnaissable. Les iris forment leurs futures fleurs, les roseaux poussent à une vitesse impressionnante, comme les fougères.

Des nénuphars

Aujourd’hui, c’est la sainte Emma, je n’en connais pas, la seule c’est Emma Bovary dont m’a parlé notre ami Flaubert. Sinon, Emma femme, ah ah !! J’aurais dû partir hier, c’était la saint Parfait, plus approprié à mon projet, tant pis. Autour de moi, les cloches des églises retentissent, c’est plutôt sympathique, accueillant. A Quelneuc, c’est la sortie de l’église, avec des habitants et habitantes endimanchés, on se retrouve au café-épicerie. Un moment de convivialité.

Des murs comme ça,on n’en fait plus
Bruc-sur-Aff

A Bruc, au bar charcuterie, il n’y a pas de pain pour un sandwich, le boulanger n’est pas passé, il est de mariage. A quoi tiennent les affaires ! Pas grave, deux tranches de jambon feront l’affaire, une dessus, l’autre dessous. Il est 12h30, pause au bord d’un petit ruisseau, les pieds nus, la brise entre les doigts, c’est le pied. Il y a des papillons partout. Changement de chaussettes. Je perds mon Opinel. Dommage, un vieil Opinel à 5 francs, il avait quelques années. J’aime pas perdre, ça m’attriste. J’en achèterai un autre. Des champs entiers de pissenlits, c’est joli sous le soleil. À Saint-Just, de nombreuses haies sont faites avec des palis, des plaques de schiste fixées à des bois installés transversalement pour les maintenir verticales.

Des couleurs, des odeurs, le colza

À gauche, c’est Pipriac, « le Piperia la galette d’Albert Poulain », un passionné de patrimoine, de collectage, à la fois architecte, conférencier, conteur, au parlé gallo. Une personnalité. Maintenant, des champs plastifiés pour le maïs. J’aperçois un rapace aux grandes ailes, qui ne cesse de planer, est-ce déjà le retour du busard Saint-Martin ? Un champ de foin a déjà été coupé. Lorsque deux véhicules se croisent à mon niveau, je fais un écart vers le fossé, quelques-uns réduisent leur vitesse car ils se rendent compte que cela peut être dangereux, surtout pour moi, mais d’autres n’hésitent pas à me serrer contre le fossé. La route n’appartient pas aux piétons, mais aux voitures, et pour certains, exclusivement aux voitures. Je resserre mon ceinturon au dernier cran. Je n’aurais plus de marge si je maigris, mais je n’y compte pas. Ce matin, habillé, je pesais 76 kilos, avec le sac, 84,8 kilos. J’ai pris le plus léger et le minimum. Pourtant, on le sent le sac. Ça change tout. Je ne me vois pas peser 84 kilos. Il faut les porter. Encore des clôtures de palis (palis, comme palissade). Je ne vais pas compter les croix, de pierre, de bois, avec Sainte-Vierge, les calvaires avec le Christ en croix. La route en est jalonnée. J’ai la plante des pieds qui « chauffe », un coup de pommade. Pas facile de marcher, sans poser les pieds par terre. Il faudrait trouver une solution. Celui qui inventera la méthode se fera une fortune. Faut y réfléchir.

Vachement pieuses

À Saint-Just, petite halte, au bar restaurant Les Landes. Il est 15h. Saint-Just, c’était mon objectif pour le premier jour. C’est la forme, je continue vers Saint-Ganton et Port-de-Roche. Pas de visite au site mégalithique, mais une pensée pour les archéologues qui ont fait des fouilles, Jacques Briard, Yvan Onnée, tous deux décédés. Des hommes cultivés, agréables et bons vivants. Pendant quelques centaines de mètres, sur la droite, un ruisseau suit la route. Une bonne fraicheur s’en dégage au bruit des cascades. Saint-Ganton, avec la chapelle Saint-Mathurin, son église entourée du cimetière, ce qui devient de plus en plus rare. Dans les jardins, les pelouses sont bien tondues. Un petit rafraichissement du visage aux toilettes publiques. Des hirondelles commencent à confectionner leur nid, il y a quelques déjections sur le sol. Que va-t-il se passer, la commune va-t-elle installer des tablettes de protection ou virer ces oiseaux malpropres ? Le village est vide. Personne dans la rue, et puis, dans un jardinet, un peu de monde, dont un couple à la coupe de Huron. Un pic rose sur le crâne. Spectaculaire. Ils me confirment « ici c’est un trou du cul », avec un sourire, où l’on ne voit aucune dent entre les deux canines. Dans un étang, deux ragondins broutent gentiment sur l’herbe en bordure. Mon passage à proximité ne les dérange pas. Une dizaine de petits canards quitte la berge pour aller vers le centre de l’étang. Encore, 3,5 kilomètres, et ce sera Port-de-Roche, sur la Vilaine.

Des dalles de schiste, les palis

Les kilomètres du soir sont plus longs que les kilomètres du matin. Étonnant ! Aucune règle mathématique n’explique cela clairement. A Port-de-Roche, il y a le port, mais aussi la ligne de chemin de fer, Rennes-Redon, très passante, avec barrière. A vingt mètres de la terrasse du bar-restaurant. A chaque train, comme une sonnerie de téléphone, mais d’un gros téléphone. Petit verre en terrasse, repérage des lieux, le port, un endroit charmant. Un abri avec table et bancs, m’accroche. C’est là que je vais m’installer pour la nuit. Bon restaurant, entrée, plat, dessert pour 15 € : melons, friture d’éperlan, crème caramel.

Chalet équipé avec vue sur château en bord de Vilaine, le luxe

À deux kilomètres, c’est Langon. Parmi mes souvenirs, la chapelle Sainte-Agathe, exceptionnelle, une partie est de l’époque gallo-romaine. Il y a également plusieurs sites mégalithiques, où avec Yvan Onnée, un ami, alors président du Cérapar, association archéologique de Pacé (35), nous avons fait de nombreux relevés sur le grand site des « Demoiselles ». Il est 21h30, la nuit tombe sur la Vilaine, à dix mètres de mon campement. Je sens la fraicheur gagner du terrain. Quelle belle première journée !

Bel abri, presque sous le pont

Ce ne sera pas de même pour la nuit. Une nuit exécrable, le bruit des trains, des véhicules de passage sur le pont, les chouettes, les chiens, quelques flatulences dues aux éperlans !? Perlouse, éperlan, y a-t-il un lien ? Pas certain. L’humidité remonte de la Vilaine, enfin la totale. Bilan, réveil à 5h, départ à 5h30.


Voir et savoir

  • Monteneuf,56 : Site mégalithique des Pierres droites, circuit des allées couvertes, 14 km.
  • Entre Monteneuf et Carentoir : Voie gallo-romaine, dite Ahès, Angers-Carhaix.
  • Le Temple. Carentoir : Gisant en bois du 13e. Rare, 3 en France ?
  • Bruc-sur-Aff : Lieux-dits dédiés à Saint-Méen. Fossé Saint-Aaron. Berceau de la famille de Jacques Prévert.
  • Saint-Just,35 : Sites mégalithiques des Landes de Cojoux. Centre de Préhistoire.

Dans mon cahier de route, j’ai collecté des tampons et quelques fois des lignes d’encouragements, ce sont de bonnes adresses.

Ma collection de tampons

  • Cahello Marie-Reine : 1, Place du Chevalier. Le Temple. 56910. Carentoir. Mon 1er tampon. Ma 1ère pause-café.
  • Bécel Marie-Thérèse : Bar, tabac, alimentation. 29, rue du Houx. 56910. Quelneuc. Ambiance sortie de messe.
  • Hervé Pascal : Boucherie, charcuterie, bar. 35550. Bruc-sur Aff.
  • Bar, tabac, restaurant Les Landes : 1, rue du Halgouët. 35550. Saint-Just.
  • La Halte de Port-de-Roche : Bar, restaurant, snack. Port-de-Roche. 35660. Langon. Dîner.

↑ 1 • heaume