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De Saint-Léonard-de-Noblat à Eymoutiers

5 mai 2015

Saint-Léonard-de-Noblat (87), départ 7h.

Hier soir, avec de l’Éosine, j’ai soigné mon ampoule, elle ressemble à du jambon blanc, sain. Pas d’infection. Au petit déjeuner, nous parlons un peu avec la propriétaire. J’ai remarqué des roches dans ses vitrines. Son fils est géologue. Il a écrit sur les méfaits du ciment dans le bâti ancien. Il donne des conférences. Actuellement, il cherche à colorer le béton dans la masse. Sa fille est architecte à Limoges. On se quitte, une bonne adresse. Merci madame Bigas.

La maison natale de Gay-Lussac

Je passe devant la maison de Gay-Lussac, pas très attrayante avec son crépi gris. Il fait beau, cependant la journée est classée orange. Les blés ondulent sous le vent, on se croirait en bord de mer verte.

Des gares comme il n’en existe quasiment plus

Un passage à niveau, une ligne qui vient de Meymac au sud vers Le Palais, près de Limoges. Je dois passer par Meymac, tentant de prendre un train. Je longe la Vienne, la ligne SNCF m’accompagne également. La route est plate. La vallée est jolie. Moulins, écluses, cascades, bruit de fond de l’eau.

Des lignes qui vont disparaître

Un train passe, le conducteur klaxonne, est-ce pour moi qui le prend en photo ou pour le passage à niveau ? Un des problèmes du randonneur est de sécher son linge. Un coq chante, un beau chant clair. Voudrait-il séduire la poule aux yeux d’or ? Ce matin, je sens que le top de la forme arrive. Il aura tout de même fallu attendre douze jours. Une bonne odeur de bois coupé, de gros arbres, certainement la sève. L’eau coule de la falaise de roche qui borde le côté gauche de la route.

Des roches bien tourmentées

J’arrive à la gare de Saint-Denis-des-Murs. Je suis sur la « Route des Lémovices », Gaulois du Limousin. Le pont sur la Vienne est en travaux. Un monsieur me dit que ce sera le plus beau pont de la région. Bujaleuf est à 8 kilomètres, j’y serai vers 11 heures.

L’oppidum des Lémovices

A Villejoubert, une vue à 360o, il y a sur ce site un oppidum gaulois. Rien de surprenant au vu de la situation. Un point haut qui permet d’observer et qui calme l’ennemi qui veut y monter. Il suffit de voir la pente. En bas, il y a un barrage. J’avance comme un conquérant, un peu dans l’esprit des pionniers qui partaient à la conquête de l’Ouest. Le Far-ouest, c’est breton, excellent. Comment ça va la route ? Des hauts et des bas.

Moi aussi je suis un routier, ainsi sont appelés les mercenaires, combattants au Moyen Âge. Je m’identifie de plus en plus à Bertrand du Guesclin. Tout jeune il était bagarreur, il n’a pas dû trop aller à l’école. Avec son teint basané, il devait être, en plus, un sale gosse. C’est ce qu’en dit sa mère. Il s’est certainement rendu compte très vite qu’avec la force et un peu de cerveau, de la tactique, dans cette époque guerrière, on pouvait se faire une place dans la société. Il le prouve à Rennes en se battant en tournoi. Il devait être de tous les mauvais coups et cela lui a valu le respect de ses compagnons. Certains l’accompagneront toute leur vie. La plupart était des environs de Broons, Dinan. Il comprit vite que la guerre, c’était tuer et rançonner. Tuer pour vaincre l’ennemi. Rançonner afin d’avoir les finances pour payer sa troupe, sa bande.

Le temps est couvert, venteux, l’idéal pour bien marcher. C’est un vrai plaisir de voir les kilomètres tomber. Une petite jouissance de se sentir de plus en plus proche du but.

Bertrand du Guesclin est un maquisard, il n’aurait pas dépareillé en 39-45. J’avance comme lui, à la conquête de la prochaine ville, la prochaine place-forte. Elles tombent les unes après les autres. J’éprouve, comme lui, la rage de vaincre, d’avancer, de montrer, de prouver. Prouver quoi ? J’en sais rien. C’est intérieur, une pulsion incontrôlable. Bertrand du Guesclin, c’est aussi le pouvoir par l’exemple. L’exemplarité du chef soude les équipes. Avec sa bande, il ne devait pas être simple de s’alimenter, dormir, changer de cheval, il n’y avait pas le confort actuel de l’hôtel ou de la chambre d’hôte. Est-ce qu’il négociait avec l’habitant ou lui mettait le couteau sous la gorge pour obtenir l’hospitalité ? Tout cela sur des chemins qui devaient être en mauvais état. L’envie d’atteindre un objectif comme je l’ai connue dans mon activité professionnelle, je la retrouve en ce moment dans cette démarche, dans cette marche. J’aime me fixer des objectifs, les atteindre, mieux, les dépasser, c’est un vrai plaisir, très personnel. Je me demande combien de kilomètres Bertrand du Guesclin a parcouru en France, en Espagne, des milliers. A calculer. Chaque fois qu’il combat en bataille rangée, il perd, est prisonnier et rançonné. Le fait de m’identifier de plus en plus à lui, est-ce grave docteur ? Monsieur du Guesclin, voilà 15 jours que je voyage avec vous, pourriez-vous m’accorder l’honneur de vous appeler Bertrand et de vous tutoyer ? Ce serait plus simple pour la suite du voyage. Merci de votre confiance. J’essaierai d’en être digne.

Je n’ai pas le temps de m’arrêter, dommage

A Bujaleuf, quelques achats, une boisson en terrasse du bar. Une pause-pieds ou repose-pieds à Négrignas. Encore 9 kilomètres et je serai à Eymoutiers, vers 16 heures. Je crois que si j’avais parcouru 30 kilomètres chaque jour pour me préparer à cette balade, je ne serai jamais parti. Conseil, faire 10, 15, 20 et attendre de partir pour faire 30, tous les jours. Je crois que c’est ce « tous les jours » qui est le plus terrible. Je passe une ferme Ecosolis , qui affiche « ici on a choisi de protéger l’environnement » alors que dans les cours et les champs il y a des milliers de pneus empilés ou en vrac. A vous de juger.

Quelques soins au pied. Comment ça va ? Ça gaze ! Quel plaisir la découverte, la curiosité. Rien à voir avec la futilité des réseaux sociaux. Hier, à Saint-Léonard, je voulais goûter le massepain, spécialité de la ville. Eh bien, les deux pâtisseries étaient fermées. Comment je choisis mes pauses ? Eh bien, je m’arrête là où un de mes pieds me démange, environ dix minutes toutes les deux heures. C’est pour cela que la moyenne horaire tombe à 3 ou 4 kilomètres par heure. Pour faire 30 kilomètres il faut 9 à 10 heures, dont 2 à 3 heures de pauses, pause casse-croûte, pause pipi-caca, repose-pieds, pause poncho, pause tee-shirt pour la transpiration, pause chaussettes, pour remplacer les humides par des sèches, pause photo, pause-notes.

Contre-jour au cimetière

Vers 16 heures, entrée dans Eymoutiers, en Haute-Vienne, par le cimetière qui est hors de la ville, à un bon kilomètre du centre. Je croise une dame âgée qui veut se donner un look. Elle a réussi, il se situe entre l’épouvantail et la sorcière. Ça me rappelle quelques tenues portées en Brocéliande. La coupe de cheveux est impressionnante, peu courante. C’est une femme, peut-être un homme, après tout. J’en suis sûr, un chien tenu en laisse, l’accompagne. Ça ne serait pas le cas avec un épouvantail ou même une sorcière.

La Vienne et la collégiale

Encore une journée à 30 kilomètres. La Vienne structure la ville. Ses berges sont magnifiques. Par contre, le ciment et le crépi ont envahi les façades. Le crépi et la décrépitude. Eymoutiers signifie « monastère sur la hauteur ». La Collégiale Saint-Etienne est des 11, 12, 13, 15è. Elle serait construite sur le tombeau de Saint-Psalmet, un Irlandais. Je vais à l’hôtel relais du Haut-Limousin. Deux fois, je demande, dans le salon d’accueil vide, « Est-ce qu’il y a quelqu’un ? » et j’entends, sans voir personne, « Je suis en train de pisser, j’arrive ». On échange, on sympathise. La propriétaire, Isa, est un cas. Elle est très décontractée, son vocabulaire aussi. Je gagne du terrain, Châteauneuf-de-Randon est à 270 kilomètres, soit à neuf jours d’ici. Bien avant la Bretagne, était pratiqué en Limousin, le culte de Saint-Anne. Isa insiste pour me laver quelques linges. Je les récupère secs le lendemain matin. Elle me prête une veste à elle et je fais le tour de la ville. Quelle gentillesse. Merci Isa. Nous sommes dans la région qualifiée de « Pays Monts et Barrages ». Un dîner très correct au restaurant de l’hôtel.


Voir et savoir

  • Villejoubert,87 : Oppidum.
  • Limoges : Amphithéâtre romain. Carrefour de la Via Agrippa, Lugdunum-Lyon, à Mediolanum Santonum-Saintes, et d’une voie reliant l’Armorique, par Avaricum-Bourges, à la Méditerranée.
  • Eymoutiers : Bordure occidentale du plateau de Millevaches. L’altitude est de 305 m dans la vallée de la Vienne et de 753 m à Bujaleuf. Psalmet serait né au 6e siècle, en Irlande et a pour précepteur le saint abbé Brandan. La corporation des tanneurs se développe dès le 11e. Les habitants en tirent leur nom : les « pelauds », ceux qui pèlent la peau. Greniers à claires-voies pour le séchage des peaux. Collégiale Saint-Étienne, magnifiques vitraux du 15e. Tour d’Ayen 16e. Le 12.12.1942 Georges Guingouin détruit la botteleuse du ravitaillement général.

Ma collection de tampons

  • Magasin Coop : 87460. Bujaleuf. 051.
  • Le Saint-Trop’ : 7, Place de l’Église. 87460. Bujaleuf
  • Office de Tourisme : 17, av. de la Paix. 87120. Eymoutiers.
  • Le Saint-Psalmet : Isabelle et Christian Bonnard. 2, Bd. Karl Marx. 87120. Eymoutiers. Soirée-étape.