De Vernon à Mantes-la-Jolie

La salle réservée au petit-déjeuner est envahie par les Anglais. Je parviens à trouver une table. Il me faut faire les files d’attente devant les machines à café, jus d’orange et les viennoiseries. Finalement je pars vers 8h30.

L’abbatiale est vide, elle est magnifique, le soleil illumine les vitraux.

La tour des Archives est le dernier vestige d’un château fort du 11^e siècle. Elle fait face au château des Tourelles érigé sur l’autre rive au bord du fleuve. Ils protègent tous les deux le pont. C’est une tour ronde construite sous Philippe Auguste. Elle est caractéristique des édifices militaires construits par ce roi de France. Elle est haute de 22 mètres et appartient à la même famille architecturale que le donjon du château Bouvreuil à Rouen édifié peu après. ¹

Le vieux moulin est le dernier témoin des moulins ayant existé à cet endroit. Devenu simple maison à colombages, il est construit vers le 16^e siècle, à cheval sur deux des piles du pont médiéval du 12^e siècle qui, en traversant la Seine à hauteur de l’île du Talus sur laquelle il prend appui, relie la commune de Vernonnet à celle de Vernon. Le rattachement de la première à la seconde se fait en 1804. Aujourd’hui, c’est une des rares bâtisses sur un pont en France. ²

Ce pont sera longtemps le seul entre Mantes et Pont-de-l’Arche, mais est toujours le premier à marquer l’entrée en Normandie ou la limite du royaume français du temps de Philippe-Auguste, ce qui motivera longtemps son aspect défensif dont le château des Tourelles est un vestige. ³

Je passe le pont Clemenceau, sa longueur est de 250 mètres, et je suis en rive droite de la Seine.

Ville frontière en aval du confluent de la Seine et de l’Epte, entre le duché de Normandie et le royaume de France, à l’intersection des routes de Paris à Rouen et d’Évreux à Breteuil, Vernon est ceinte d’un premier rempart à l’époque de Guillaume le Conquérant. ⁴

Le château des Tourelles est un édifice du 13^e siècle. Philippe Auguste le fait construire en remplacement d’un ouvrage plus ancien. ⁵

Une piste cyclable mène à Giverny. Des vélos électriques sont utilisés par les touristes, les piétons sont également les bienvenus.

En bordure de la piste une exposition présente des biographies de spécialistes et chercheurs allemands qui se sont installés à Vernon après la guerre de 39-45. Elle est très intéressante.

En 1946 le Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques (LRBA), établissement de la DGA, développe ses activités entre 1946 et 2012.

Le LRBA est un établissement de la direction des études et fabrications d’armement. Le laboratoire a eu un rôle majeur pour le développement des premiers moteurs-fusées français à ergols liquides, pour les fusées-sondes, les fusées expérimentales et les lanceurs Diamant.

Le LRBA est créé le 17 mai 1946 par la direction des études et fabrications d’armement peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce laboratoire de recherche rassemble à l’origine 150 spécialistes allemands du missile balistique V2 que l’armée française a embauchés avec un double objectif : d’une part permettre à la recherche et l’industrie française d’acquérir les connaissances qui lui faisaient complètement défaut dans le domaine de la propulsion par moteur-fusée, le guidage et le pilotage des fusées, d’autre part développer de nouveaux engins extrapolés à partir des réalisations allemandes. ⁶

Les vestiges de l’important oppidum des Véliocasses sont situés sur un éperon rocheux de Vernonnet.

Si le prestige d’une commune se compte au nombre des panneaux indicateurs qui fleurissent à son entrée, on peut dire que Giverny est bien placée, j’en ai recensé 23 !

Giverny appartient à la région naturelle du Vexin bossu, elle se caractérise par les multiples sillons qui ont creusé le plateau et offre un paysage très ondulé entre les vallons secs affluents de l’Epte. Au XI^e siècle, le fief et l’église de Giverny reviennent à l’abbaye de Saint-Ouen à Rouen. On relève que la propriété dite La Dîme doit son nom à une grange dîmière qui servait de lieu de perception de l’impôt à l’abbaye jusqu’à la Révolution. Il s’y trouvait aussi une léproserie. ⁷

En 1883, Claude Monet s’installe dans le village. Il fait creuser en 1893, sur un bras de l’Epte, le bassin aux nénuphars au bord duquel il peint les « Nymphéas ». ⁸

Monet is Money. Il y a déjà un grand nombre de visiteurs, le smartphone dans une main, la vapoteuse dans l’autre. On ne parle pas beaucoup le français. Tout ce monde me donne le tournis et de l’appétit, je m’installe en terrasse ombragée et sans client, à La Parenthèse. Un bon chocolat et une tranche de pain perdu, pas pour tout le monde, et c’est reparti.

L’Epte est un affluent en rive droite de la Seine. Elle naît en Seine-Maritime, dans le pays de Bray, près de Forges-les-Eaux. La rivière marque la limite entre la Normandie et l’Île-de-France, cette situation géographique a marqué profondément son histoire au Moyen Âge, avec la construction de toute une série de places fortes sur chacune de ses rives. Elle conflue entre les communes de Limetz-Villez et Giverny à l’altitude de 19 mètres. ⁹

Je quitte l’Eure pour les Yvelines. Le lavoir de Limetz-Villez est situé sur le petit bras de l’Epte et il possède toujours son mécanisme qui sert à monter ou descendre le plancher en fonction du niveau de l’eau. Malin, malin.

Claude Monet et Cézanne y ont séjourné. Patrick et Isabelle Balkany aussi ! ¹⁰

Je rejoins la Seine, une voie verte est signalée, elle mène à Bennecourt.

Des riverains apportent des gravats pour consolider la berge et étendre leur surface. Avec l’autorisation de qui ?

Pause casse-croûte à Bonnières-sur-Seine. Un excellent pain bagnat de la pâtisserie, une bière, un café, en terrasse, malgré les quelques gouttes qui commencent à tomber.

La Tour carrée du Mesnil-Regnard est un vestige d’un édifice fortifié au sud-ouest de Bonnières à 105 mètres d’altitude. C’est également un oppidum. ¹¹

J’avance sous la pluie jusqu’à la zone commerciale de Freneuse. Ras-le-bol, je prends un bus qui va à Rolleboise, 3 kilomètres plus loin.

À Rolleboise il y a un oppidum et le château de la Corniche.

Le château de Rolleboise était une belle et forte forteresse située sur le bord de la Seine à une lieue de Mantes. Il était occupé depuis 1363 par une bande de brigands anglo-brabançons commandés par un certain Wauter Straël, ou Wautaire Austrade, écuyer flamand originaire de Bruxelles.

Bertrand du Guesclin, qui assiége Rolleboise depuis plusieurs semaines, reçoit l’ordre de s’emparer à tout prix de Mantes et de Meulan. Laissant les troupes des bourgeois de Rouen et quelques hommes d’armes sur place, il se dirige sur Mantes afin de prendre la ville.

Une première version indique que Rolleboise est rachetée aux brigands le 13 avril 1365. Une seconde version indique que Rolleboise est prise entre les sièges de Mantes et de Meulan, soit entre le 7 et le 11 avril 1364.

La prise de la forteresse de Rolleboise, puis sa destruction en mai 1365, permet au roi de France de sécuriser la région et de rouvrir la circulation et les échanges de marchandises par voie terrestre et fluviale entre Rouen et Paris. ¹²

À l’emplacement actuel du château de Rosny-sur-Seine se trouvait au Moyen Âge un manoir fortifié. Est-ce ce château que Bertrand du Guesclin prend en 1364 ?

Construit à l’extrême-fin du 16^e siècle pour Maximilien de Béthune, duc de Sully, surintendant des finances d’Henri IV, peut-être par Jacques II Androuet du Cerceau, il a été remanié par l’architecte Joseph-Antoine Froelicher pour la duchesse de Berry, propriétaire de 1818 à 1830. ¹³

Je prends un bus et voilà Mantes-la-Jolie, la pluie a cessé. Je traverse le Val Fourré, des immeubles.

Au début des années 1950 se pose le problème de l’accueil des populations ouvrières, et il fut décidé d’utiliser les terrains de l’ancien aéroclub de Gassicourt, au lieu-dit du Val Fourré, à l’ouest de la ville, pour construire un important complexe de logements. Le 3 août 1959 est signé le décret portant la création de la ZUP du Val Fourré. ¹⁴

Je parcours la ville et je trouve une chambre à l’hôtel Val de Seine. Après une bonne douche, je reviens en ville.

Son histoire est chargée.

• Jusqu’en 911, date de signature du traité de Saint-Clair-sur-Epte, Mantes appartient au comté de Madrie. En 912, elle est rattachée au doyenné du Pincerais.

• Afin de faire cesser les incursions françaises en Vexin français, le duc-roi Guillaume le Conquérant exige que Philippe Auguste lui remette Pontoise, Chaumont-en-Vexin et Mantes. Sur le refus du roi des Francs, Guillaume lance ses troupes sur Mantes et la région. En juillet 1087, les troupes normandes commandées par Asselin Goet lancent une campagne de représailles dans le Vexin français. Arrivés à Mantes, ils détruisent les moissons et arrachent les vignes comme ils l’ont fait dans les autres contrées. Le lendemain, comme les bourgeois sortent pour constater les dégâts, Guillaume arrive à l’improviste à la tête de ses gens d’armes. Ils se précipitent dans la ville. Après l’avoir mise à sac, ils brûlent impitoyablement le château, les églises, les maisons.

• Le 17 août 1188, Philippe Auguste et les milices communales mantaises engagent une bataille à Soindres contre les troupes menée par Henri II Plantagenêt qui ravagent le Mantois et cherchent à prendre le château-fort de Mantes. Les pillards battus, le roi de France s’empare dans la foulée du Vexin normand et Mantes lui sert alors de quartier général. C’est en partant de Mantes qu’il sera vainqueur à Château-Gaillard et à Radepont. ¹⁵

• Alors qu’il se trouve à Pacy-sur-Eure, Philippe Auguste décide d’assister à un concile organisé à Paris. Usé par la maladie, il est obligé de s’arrêter à Mantes, où il meurt le 14 juillet 1223.

• En 1316, Mantes est donnée par le roi Philippe V à son oncle Louis de France, comte d’Evreux, dernier fils de Philippe III le Hardi, avec Montchauvet, Bréval et d’autres lieux. À sa mort, la ville passe à son fils Philippe III, roi de Navarre et comte d’Evreux puis en 1343, à la mort de ce dernier, à son fils Charles II de Navarre dit Le Mauvais.

• Le 22 février 1354, les rois Jean II de France et Charles II de Navarre y signent le Traité de Mantes par lequel le roi de France reconnait au roi de Navarre la possession d’une grande partie du Cotentin et de terres normandes à l’ouest du comté d’Evreux. Charles II réside de nombreuses fois à Mantes jusqu’en 1361. Le 22 juillet 1361, Charles, premier fils du roi Charles II et futur roi Charles III de Navarre, nait au château de Mantes.

• Charles III de Navarre dit Charles III le Noble est né le 22 juillet 1361 à Mantes et meurt le 8 septembre 1425 à Olite en Navarre. Il est roi de Navarre de 1387 à 1425, et comte d’Évreux puis duc de Nemours. C’est le fils et successeur de Charles II de Navarre dit Charles le Mauvais et de Jeanne de Valois. ¹⁶

• Le 7 avril 1364 la ville, alors possession de Charles II le Mauvais roi de Navarre, est prise par les troupes du maréchal de France Boucicaut et de Bertrand du Guesclin. Charles V fait alors exécuter un grand nombre de travaux aux fortifications. Au traité d’Avignon de 1365, Charles II de Navarre doit accepter d’échanger les villes de Mantes et Meulan contre Montpellier. Les conditions financières de cet échange provoquent de nombreux conflits entre le roi de Navarre et Charles V qui durent jusqu’en 1375.

• En 1416, lors des conflits entre les Bourguignons et les Armagnacs, Henri V d’Angleterre relance la guerre et fait tomber en son pouvoir Harfleur et toute la Normandie jusqu’à Rouen, les positions fortifiées du Mantois changent plusieurs fois de mains. Le 5 février 1419, assiégée, Mantes se rend par faute de vivres et reste sous domination anglaise jusqu’en 1449. ¹⁷

La construction du bâtiment actuel a commencé entre 1155 et 1170 et s’achève vers 1510. La plus grande des chapelles de la Collégiale Notre-Dame était la chapelle du Rosaire, communément appelée chapelle de Navarre, qui a été payée par deux femmes éminentes de la cour française, Jeanne d’Evreux, épouse du roi Charles IV, et Jeanne de France, reine de Navarre. ¹⁸

Au début du 9^e siècle, vers la fin de l’époque carolingienne, une motte castrale, attestée vers 825, est construite sur le mont Éclair afin de défendre l’accès à la Seine. Les actuelles rues de L’abbé Hua, du Cloître Notre-Dame et de la Sangle conservent le contour du château. On trouve aussi la place, la rue, le square du château.

L’église Saint-Maclou est bâtie originellement vers le début du XI^e siècle, vers 1015, elle était, selon la tradition mantaise, l’Hôtel Dieu de la ville. Brûlée par Guillaume le Conquérant en 1087 avec tout le reste de la ville, elle fut rebâtie à proximité vers la fin du XI^e siècle ou le début du XII^e siècle. De nombreuses restaurations de la tour furent effectués dès la seconde moitié du XIX^e siècle, allant s’accélérant jusqu’au début du XX^e siècle. Il subsiste aujourd’hui la tour du XVI^e siècle, de même qu’un pan de mur roman, long de deux arcades, avec les piliers du bas-côté qui lui correspondent. La façade, quoique remaniée fortement, présente encore des éléments d’origine. De l’église primitive, il reste la crypte. ¹⁹

Je rencontre le propriétaire, il est très accueillant et m’explique que son prédécesseur se passionnait d’histoire et ...lorsqu’il découvre que Bertrand du Guesclin pénètre dans la ville dissimulé avec ses hommes dans des barriques de vignerons...il donne son nom à sa boutique de vins. D’après lui Bertrand du Guesclin serait entré par la Porte aux Saints.

La ressource principale de la commune a longtemps été la vigne plantée dans la vallée de la Vaucouleurs ainsi que les quartiers des Cordeliers, des Martrais et de Saint-Jacques, situés sur le terroir de Mantes-la-Ville jusqu’au XIX^e siècle.

Est-ce que cette nouvelle ruse de Bertrand du Guesclin est une spécialité mantoise ? Elle n’est pas reprise par d’autres auteurs.

Mantes est aux mains de Navarrais. Bertrand du Guesclin décide d’utiliser la même ruse que la prise du château de Fougeray. Une dizaines de bretons, cachant leurs armes sous des longs manteaux, s’approchent du pont levis. Les gardes le baissent pour laisser passer un chariot. Ils sortent leurs épées et bondissent. Ils tuent les sentinelles. Bertrand du Guesclin s’écria : « Saint Yves, Guesclin ! À mort tous Navarrais ». Avec une centaine d’hommes, il pénètre dans la garnison. Ils tuent les soldats ou les mettent en fuite. Puis, ils s’emparent de la forteresse. N’ayant pas reçu la solde du Régent, Bertrand du Guesclin laisse ses hommes piller et tuer les bourgeois et amis des Navarrais. Bertrand du Guesclin défend les paysans et hait les bourgeois. Le cas de Mantes est réglé. Il laisse la garde de la ville à deux de ses fidèles : Hugues de Châlon et Even Charruel. ²⁰

C’est par cette porte que Bertrand du Guesclin serait entré dans la ville. Pourtant ce n’était pas un saint !

Je dîne dans un restaurant du centre. Il y a une bonne ambiance.

Je crois bien que Mantes n’était pas jolie en 1364 !

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