De Vétheuil à Port-Mort

Une petite balade avant les croissants. Je croise le propriétaire qui va à la boulangerie. Je vais rendre visite à Claude Monet.

Le peintre loue la maison de 1878 à 1881, il est expulsé pour ne pas s’être acquitté du loyer. Il peint environ 150 tableaux. Son modèle puis épouse, Camille Doncieux (1847-1879), morte le 5 septembre 1879 à l’âge de 32 ans, est inhumée au cimetière du village. ¹

Je longe la Seine sur environ 1 kilomètre, c’est trop beau, je finis dans un dépotoir et dois reprendre le macadam. Justement des ouvriers et des camions le changent, la route est barrée aux voitures. C’est mieux d’être un peu seul.

Village entre fleuve et falaise, Haute-Isle est presque entièrement troglodytique jusqu’au XIX^e siècle et possède la seule église d’Île-de-France (et l’une des rares du pays, cinq en France) à être entièrement creusée dans une falaise. Il est est rattaché à la paroisse de Chérence jusqu’en 1670, date à laquelle son seigneur, Nicolas Dongois, greffier en chef du Parlement de Paris (et neveu de Boileau par sa mère), demande son érection en paroisse. L’église est alors creusée dans le roc.

La falaise est creusée de « boves ».

L’église troglodytique de l’Annonciation est creusée dans la falaise de craie en 1670/1673 aux frais de Nicolas Dongois. Seul le petit clocher carré émerge du sol enherbé qui recouvre la falaise. C’est l’unique exemple d’un édifice religieux troglodytique en Île-de-France depuis la destruction en 1749 de l’église de Mousseaux. ²

Suis-je bienvenu à La Roche-Guyon ? Je vais vérifier cela immédiatement en allant faire une halte au café du centre. La propriétaire est accueillante et souriante, bravo.

Le fond de la vallée alluviale de la Seine a une altitude variant de 23 mètres au centre du village à 16 mètres sur la rive du fleuve. Le plateau dans la partie nord a une altitude culminant à 123 mètres à l’aplomb du château, se maintenant entre 120 et 130 mètres plus au nord.

Le sous-sol comprend plusieurs types de roches superposées. La première est la craie blanche campanienne, la plus ancienne, datant d’environ 80 millions d’années et d’environ quatre-vingts mètres d’épaisseur, qui affleure dans les fonds de vallées. Elle est surmontée par une couche calcaire du Montien (65 millions d’années), pierre à bâtir vexinoise par excellence, puis par les couches d’argile et de sable de l’Yprésien, dont les argiles du Sparnacien, épaisses de cinq à quinze mètres, leur caractère imperméable provoque l’apparition de lignes de sources et rend les fonds de vallées marécageuses. Cette couche est surmontée par le sable du Cuisien, de dix à trente mètres d’épaisseur. On trouve ensuite l’importante masse calcaire du Lutétien, d’une épaisseur de vingt à quarante mètres, et qui constitue l’assise du plateau du Vexin. Sa présence explique l’existence de phénomènes karstiques. Les couches du Bartonien qui lui succèdent (40 millions d’années) voient alterner le grès et le sable de l’Auversien, puis le calcaire de Saint-Ouen, et enfin les sables du Marinésien, épais de cinq à trente mètres.

Je contemple 80 millions d’années, là, devant moi, c’est dingue quand j’y pense.

Un premier château troglodytique est édifié, vers 1066, pour défendre l’Île-de-France, territoire royal, dans le cadre de la fortification de l’Epte.

Vers 1190, un donjon est édifié et relié au château par un escalier souterrain de 250 marches creusé dans le flanc du plateau. Il domine les vallées de la Seine et de l’Epte.

Durant la guerre de Cent Ans, Guy VI de la Roche, familier du dauphin, épouse Perrette de La Rivière, fille de Bureau de La Rivière, premier chambellan des rois Charles V, qui est mort dans ses bras, et Charles VI.

Ses voisins sont Château-Gaillard et les Deux-Goulets.

Au XIX^e siècle, un des propriétaires et habitant du château de La Roche-Guyon, le duc et cardinal Louis-François de Rohan-Chabot y a invité en séjours le poète, écrivain, historien, et homme politique Alphonse de Lamartine qui y a écrit une de ses plus admirables méditations poétiques : la Semaine sainte à la Roche-Guyon. ³

Ici viennent mourir les derniers bruits du monde ;

Nautoniers sans étoile, abordez ! c’est le port :

Ici l’âme se plonge en une paix profonde,

Et cette paix n’est pas la mort.

Je suis d’accord avec Alphonse de Lamartine, cette paix n’est pas la mort.

Les boves, qui constituent des refuges commodes, sont généralement habitées par les paysans et leurs animaux, qui procurent la chaleur animale. Route de Gasny, elles sont caractéristiques des villages troglodytiques. Les « charrières » sont des rues en pente raide menant de la ville basse à la crête du plateau.

La route des crêtes domine la Seine et offre des points de vue grandioses sur la vallée et la boucle de Moisson.

Gasny. Ganiacus en 1312 (charte de Philippe le Bel), Gueugny en 1331 (lettres du duc de Bourgogne),Gaagny en 1339 (chronique des abbés de Saint-Ouen). ⁴

Renaud de Lisieux, cellérier de Saint-Ouen, était prieur de Gasny. Il est remplacé en 1362 par Dom Jean du Neubourg. Au cours du XIV^e siècle, les religieux de Saint-Ouen récoltaient chaque année, bon an mal an 40 litres de vin dans leur domaine de Gasny. ⁵

L’église primitive de Gasny, édifiée dès l’époque mérovingienne, est détruite dans l’expédition de Vaudevire le Roux. Les religieux de Saint-Ouen, ayant appelé l’architecte renommé quoique sourd Pierre Descoings, la reconstruisent au commencement du XIII^e siècle, et l’on voit encore quelques vestiges de cette seconde construction dans l’église actuelle, élevée vers 1480 (chœur et transept).

Saint Nicaise (Nicasius), est un apôtre du Vexin au III^e siècle. Ayant fait plusieurs miracles et évangélisé les habitants du bord de la Seine, Conflans, Andrésy, Triel, Vaux, Meulan, Mantes, la Roche-Guyon... il est martyrisé avec ses compagnons sur les bords de l’Epte, à Gasny, avant d’atteindre Rouen. Il serait enterré à Gasny. ⁶

Un léger besoin de recharger les batteries se fait sentir. Quelques viennoiseries prises à la pâtisserie et une table sur le bord de la rue principale feront l’affaire.

Retour à Giverny, j’ai repéré un chapeau plus large et plus agréable que celui que je porte. Cerise sur le chapeau, il est en feutre, comme celui que j’ai perdu au Mont-Saint-Michel en 2018. Ma taille est disponible, j’achète. Changement de chapeau, je suis mieux protégé du soleil, que voulez-vous, quant on a une peau fragile, il faut prendre des précautions. Mais je crois qu’il est déjà un peu tard, j’ai les pommettes rosées.

Je suis la rue centrale, la rue Claude Monet. J’arrive à Vernonnet. Les Tourelles sont toujours en place.

Je longe la Seine en rive droite, les chemins sont de qualité variable, c’est le chemin de halage. Quelques gouttes de pluie assombrissent le paysage.

Le château de la Madeleine est situé en bordure de la Seine entre les communes de Pressagny-l’Orgueilleux et Vernon. Le premier château est construit en 1772 par l’abbé Charles Morin du Marais Vernier, dernier abbé de Paimpont, sur le site du Prieuré de Sainte Madeleine. Ce monument est entièrement détruit à la Révolution. Il me semble l’apercevoir à travers les arbres qui le dissimulent, perché sur la berge haute. ⁷

Pressagny-l’Orgueilleux, je m’arrête dans une supérette Vivéco, le patron est très avenant, il passe plusieurs appels téléphoniques pour me trouver une chambre d’hôte. En vain, ou il n’y a personne qui décroche ou elles sont déjà occupées. Il appelle une adresse que j’ai noté Les Chardonnerets à Port-Mort. Merci. C’est bon, reste maintenant à y aller. J’achète une tablette de chocolat, on dit que c’est bon pour le moral.

Je rejoins la Seine. Je passe au sud de Notre-Dame-de-L’Isle. ⁸

En face, sur l’autre berge, Le Goulet.

Le royaume de France ayant été mis en interdit par le concile de Dijon le 6 décembre 1199 à effet des 40 jours suivant Noël, aucun mariage ni enterrement religieux ne pouvait être célébré par un prêtre dans tout le royaume dès le mois de janvier 1200, ce qui conduisit Philippe II Auguste à faire célébrer le mariage de son fils Louis dans les terres du roi Jean I^er d’Angleterre dont Blanche de Castille était la nièce.

Le lundi 22 mai 1200, jour selon le chroniqueur Rigord qui suit le jeudi de l’Ascension (18 mai), fut signé au lieu-dit Gueuleton (face à l’actuelle Île aux Bœufs) le traité de paix. Les noces du prince Louis et de Blanche de Castille furent célébrées, toujours selon Rigord, dans le même lieu le lendemain. ⁹

Le traité du Goulet est un traité de paix conclu, selon le chroniqueur Rigord, le jeudi 18 mai 1200 à Gueuleton, près de Vernon, juste à hauteur des forts de l’île aux Bœufs. Le roi Jean d’Angleterre, dit Jean sans Terre, reconnaît la suzeraineté du roi de France sur les possessions continentales des Plantagenêt. Le roi d’Angleterre cède le comté d’Évreux et ses fiefs du Berry (Issoudun et Graçay) au prince Louis, fils du roi Philippe II de France, pour la dot de Blanche de Castille, fille du roi de Castille Alphonse VIII, petite-fille d’Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine et nièce de Jean d’Angleterre. Toujours selon Rigord, le lundi suivant l’Ascension, soit le 22 mai 1200, le prince Louis épouse Blanche de Castille. En contrepartie, le roi Philippe Auguste renonce à tout droit sur la Bretagne et le jeune Arthur doit prêter hommage au roi Jean. ¹⁰

La tour nommée le Petit-Goulet, fait partie du système défensif érigé par Philippe-Auguste, réparti entre l’Ile-aux-Boeufs (commune de Notre-Dame de l’Isle) et la rive gauche de la Seine, au Goulet. Elle est du 1^er quart 13^e siècle. ¹¹

L’Île aux Bœufs se situe à hauteur du Goulet. Une motte castrale se devine difficilement en bordure gauche de la Seine ; la cartographie est cependant précise en situant clairement ses vestiges au niveau de l’embouchure du ruisseau de Saint-Ouen. C’est la motte castrale de Boutavant indiquée sur Géoportail, du même nom que celle d’Iffendic, en Bretagne. ¹²

On peut lire que Boutavant désigne une ancienne motte castrale située sur une île de la Seine, l’île La Tour, appartenant administrativement à la commune de Tosny. Elle n’est pas notée sur Géoportail. Boutavant s’oppose à Boute-Arrière installé au Goulet, dispositif militaire conçu par Philippe Auguste à la frontière de France. ¹³

La frontière entre le pays des léopards et celui des lys passait en Notre-Dame-de-l’Isle et Port-Mort, dernier promontoire rocheux de Normandie où l’Anglais avait édifié le Château-Neuf menaçant les horizons jusqu’à Vernon. ¹⁴

Le traité de Londres du 24 mars 1359 mentionne Le Goulet (le château), au même titre que Vernon, comme cédé aux Anglo-Navarrais, parti de Charles II de Navarre, le Mauvais, comte d’Évreux. Le 17 avril 1364, Charles V le Sage y séjourne à l’aube de son règne, soit un mois avant que ne soit livrée la bataille de Cocherel. En 1371, Bruneau de Commande est capitaine du château du Grand-Goulet. ¹⁵

C’est au Goulet que le Dauphin Charles fut rejoint par les Ducs d’Orléans et de Berry venus lui annoncer la mort, à Londres, de son père. De ce jour... et du Goulet, il devint Charles V. ¹⁶

Bertrand du Guesclin rencontre le roi Charles V au Goulet le 24 avril 1364. Le 26, il est nommé chambellan.

J’arrive à Port-Mort par le cimetière. Il y a mieux comme entrée mais on ne choisit pas toujours.

J’arrive à la chambre d’hôte.

Le couple accueillant me propose de partager son repas, c’est parfait car il n’y a rien dans le village, sauf un bar-tabac ou je vais boire une bière.

La dame sculpte des livres, je découvre cette technique, c’est impressionnant. ¹⁷

Merci pour cette soirée conviviale.

Voyant que je m’intéresse à l’Histoire, les propriétaires me prêtent de la documentation sur Port-Mort, Portus Maurus. ¹⁸