D’Objat à Arnac-Pompadour
4 mai
Par Voutezac, Comborn, Orgnac-sur-Vézère, Beyssac, Arnac-Pompadour. J’ai le pied gauche qui lâche, on a l’âge de ses tendons.
Je prends un café à une table près du bar. Une femme arrive et s’installe en face de moi, puis deux, puis trois, je suis cerné. On échange gaiement. Un client me dit que c’était risqué de prendre la table des femmes.
Une giboulée est tombée cette nuit. Après les chaleurs de ces derniers jours il est normal que ce matin la brume soit au rendez-vous. Elle donne un aspect ouaté, mystérieux, à la campagne.
Je passe devant un lycée agricole, les élèves arrivent.
Voutezac est construit sur un castrum et traversé par l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, la via Lemovicensis.
Le village du Saillant, à quelques kilomètres du bourg de Voutezac, est traversé par la Vézère, rivière qui sépare les deux communes d’Allassac et de Voutezac, surmontée d’un pont construit au Moyen Âge par les moines, pour alimenter la région de leurs vins.
Le vin que j’ai bu hier au château de Saint-Aulaire venait du Saillant. Une découverte. La notoriété des vins produits sur les communes d’Allassac et de Voutezac est telle, dés le Moyen Age, que les moines de l’Abbaye de Cluny, en Bourgogne, s’y approvisionnent régulièrement. En 2003, une quinzaine d’amis passionnés ont décidé de faire revivre ce vignoble, sur ce terroir exceptionnel de schistes. 1
Le château du Saillant qui appartient à la famille de Lasteyrie du Saillant a accueilli dans ses murs le révolutionnaire Riqueti de Mirabeau, sa sœur ayant épousé un Lasteyrie du Saillant.
Le 15 avril 1944, le village du Saillant est l’objet d’une rafle perpétrée par l’occupant nazi et la bande Bonny-Lafont. Vingt-et-un otages sont arrêtés et dix déportés : cinq dans le camp de concentration de Neuengamme et les autres dans les centres d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et des Pays baltes. 2
Je passe de 120 mètres à Objat à 250 mètres à Voutezac. Mon pied gauche commence à donner des signes de faiblesse.
Ensuite ça monte jusqu’à 400 mètres avant de redescendre à 195 mètres au château de Comborn. J’opte pour la voiture. Le monsieur a une habitation secondaire à proximité du château, il va faire du jardinage. Il me dépose quelques minutes plus tard devant le château. On ne peut pas faire mieux. Merci.
Le chemin d’accès n’est pas très engageant, des maisons plus que rustiques, du ciment.
Établi sur une hauteur, le château de Comborn se situe dans un méandre, un cingle, de la Vézère, qu’il domine d’environ 70 mètres. Le château, véritable forteresse médiévale dont il ne reste que des vestiges, date des 11, 14 et 15ème siècles. Le logis subsistant est du 18ème siècle (1753).
Le château de Comborn, ancien oppidum au 9ème siècle, berceau de la famille de Comborn au 10èmesiècle - l’une des quatre vicomtés du Bas-Limousin - et des vicomtes de Limoges aux 12ème et 13ème siècles.
En 1353, Arnoul d’Audrehem, lieutenant de Bertrand du Guesclin, se casse les dents à Comborn. En 1355, des Anglo-gascons occupent le château.
Au 11ème siècle s’effectue la première construction en pierre de la tour maîtresse à quatre niveaux — dont seul le premier subsiste — ainsi que trois salles souterraines dès le 12ème siècle. Le château est détruit aux 13ème et 14ème siècles, pendant la guerre de Cent Ans. 3
Ses principales seigneuries sont : Treignac, Beaumont, Chamboulive, Chamberet, Rochefort et Allassac.
Le fils d’Archambaud Ier fonde Ventadour dès 1036 et donne naissance aux seigneurs de Ventadour-Ussel.
Guichard V († 1415 à Azincourt) descend de Guichard Ier de Comborn, seigneur de Chamberet - fils d’Archambaud VI et frère cadet de Bernard II - arrière-petit-fils de Guichard II, il est seigneur de Treignac et Chamberet, avant d’acheter par avance en 1374 la vicomté de Comborn à Archambaud IX-X qui meurt en 1380. 4
Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau (1749-1791), célèbre orateur pendant la Révolution réside à Comborn quand il rend visite à sa sœur, marquise du Saillant, alors propriétaire du château.
En 2019, la Mission Bern du Patrimoine a sélectionné ce site historique pour contribuer à sa sauvegarde et à sa restauration. 5
Alors que j’écris ces lignes, je découvre un personnage intéressant, Philippe-Auguste Jeanron. Il est né à Boulogne-sur-Mer, le 11 mai 1808 et mort au château de Comborn, le 6 mars 1877, c’est un peintre, dessinateur, lithographe et essayiste français. À peine éteints les troubles de 1848 où il a pris une part active, il est proposé, dès le 28 février, par le gouvernement provisoire, à la direction générale des Musées nationaux. En moins de deux ans, il dote le Louvre d’une administration moderne et accomplit avec quelques collaborateurs motivés une tâche énorme. Il est inhumé à Orgnac-sur-Vézère. 6
M. Jeanron, je connaissais quelques unes de vos peintures, notamment celle de Mirabeau, mais je n’avais pas imprimé votre nom. Je suis content de vous avoir rencontré.
Je ne peux résister à aller voir La Vézère. Pour descendre je n’ai pas mal au pied.
Les gorges abruptes sont couvertes de forêt.
Le soleil revient. Je m’offre une pause, un banc me tend les bras, j’en profite. Impossible de remonter cette côte à pied. Une aide-soignante en retraite m’emmène vers Orgnac. Elle me propose un café chez un ami pour qui elle prépare le repas. L’ami est absent. On discute, elle est très sympathique. Merci.
J’arrive à Orgnac.
En 2013, onze vitraux du peintre Kim En Joong sont installés. En 2019 et 2020, des travaux de restauration de maçonnerie et de couverture sont réalisés.
La descente par la route de la Peyrade vers la Loyre est agréable, une vallée encaissée, de la verdure, un joli muret de pierres en bord de route, le bruit sourd permanent de la rivière comme du vent dans les arbres, des cascades successives. 7
Puis je suis la Noux ? ou le ruisseau du Pont Sauvé, affluent de la Loyre.
13 heures. Direction Beyssac, y aura -t-il de quoi se restaurer ? La montée est difficile, le tendon du pied gauche lance des cris d’alerte.
Je m’élève de 100 mètres, je passe de 240 à 340 mètres.
Je parviens à Agier, là une dame sort de chez elle en voiture. Elle est d’accord pour me déposer à Beyssac, elle va à Arnac-Pompadour. Merci.
Innocent VI est né dans le hameau des Monts, à l’est Beyssac. Né Étienne Aubert en 1282 et mort le 12 septembre 1362, il est évêque de Noyon et évêque de Clermont d’Auvergne, puis élu le 18 décembre 1352, 199ème pape de l’Église catholique à Avignon de 1352 à 1362, succédant au pape Clément VI (1342-1352). Il siège comme son prédécesseur à Avignon. Il est pour beaucoup dans la signature du traité de Brétigny-Calais signé le 8 mai 1360. 8
En 1352, Guillaume Aubert, neveu du pape, se porte acquéreur de la châtellenie et du château de Bré. 9
La Corrèze est le plus petit territoire au monde à avoir donné naissance à trois Papes. Franchement cela n’est pas trop mis en avant à Beyssac !
Sur les sept papes qui résidèrent en Avignon, il y eut trois Limousins, Clément VI (1342-1352), Innocent VI (1352-1362) et enfin Grégoire XI (1370-1378). Quand on sait que deux autres clercs de cette petite province déclinent la tiare qui leur est offerte, on comprend qu’à une époque où le terroir et la famille ont dans la vie des responsables une influence prépondérante, il nous faut évoquer ces trois papes issus de l’actuel diocèse de Tulle. 10
La chartreuse Sainte-Marie de Glandier est érigée, par la volonté d’Archambaud VI, vicomte de Comborn, sur la commune de Beyssac, c’est un monastère masculin de l’ordre des Chartreux, fondé en 1219, dans la vicomté de Comborn. En 1339, Glandier compte une communauté de quinze pères. En 1346, son ancien prieur, Jean Birelle, père profès connu, au niveau de l’Ordre, pour sa grande piété, devient prieur de La Grande Chartreuse, c’est-à-dire Révérend père (ou ministre général) de l’Ordre. Celui-ci refuse ensuite la tiare pontificale, au profit d’Étienne Aubert, futur Innocent VI. Si en 1355, le passage des Anglo-gascons qui occupent le château de Comborn se fait sans trop de heurts, mais après un certain répit, ceux-ci reviennent au début du 14ème siècle et s’emparent de la chartreuse qu’ils pillent et saccagent en 1408. 11
L’élection de Grégoire XI elle-même, qui eut lieu le 30 déc. 1370, environ trois mois après le massacre de Limoges, doit être considérée comme une sorte de protestation du Sacré-Collège contre la conduite barbare du prince de Galles. Pierre Roger, dit le cardinal de Beaufort, n’avait pas encore, au moment de son élection, reçu la prêtrise (il ne fut ordonné prêtre que le 4 janv. 1371), mais il était originaire de ce Limousin livré alors à la vengeance d’un vainqueur impitoyable ; il était le cousin de cet évêque de Limoges que le prince de Galles avait voulu faire mettre à mort ; il était enfin le propre frère de ce Roger de Beaufort, le beau-frère de ce Hugues de La Roche, l’oncle de ce Jean de La Roche, tombés aux mains des Anglais après avoir défendu Limoges avec tant d’héroïsme. Et les membres du Sacré-Collège obéirent sans aucun doute à l’une des plus nobles inspirations de l’esprit chrétien en donnant, dans de telles circonstances, leurs suffrages à Pierre Roger. 12
Je reprends la route vers Arnac-Pompadour, plus ou moins à cloche-pied. Un vétérinaire m’avance un peu, il n’a rien pour les tendinites, puis une dame me dépose sur la place devant le château.
Il est 15h45, j’ai faim, je fonce à la brasserie des Remparts. Le serveur m’indique un hôtel, Le Parc Hôtel Pompadour, j’y vais, il y a une chambre. 13 Je reviens au château et j’en fais le tour.
Arnac est un site gallo-romain.
Emerge au 11ème siècle la famille Hélie, non pas d’abord à Pompadour, mais à Ayen, puis à Ségur dans la seconde moitié du 12ème siècle : ils portent alors le nom d’Hélie d’Ayen ou d’Hélie de Ségur, et, bien modestes encore, ne sont les maîtres ni d’Ayen ni de Ségur : ce ne sont que des chevaliers gravitant autour des châteaux d’Ayen et de Ségur — dont le seigneur est le vicomte de Limoges - appartenant à leur entourage, à leur cour féodale et châtelaine, autrement dit des membres de la familia castrale d’Ayen ou de Ségur. Entre la moitié du 12ème à la moitié du 13ème siècle, les Hélie de Ségur s’installent aussi à Pompadour, au château des Lastours dont ils deviennent membres de la familia, et prennent le nom d’Hélie de Pompadour. Du 13ème aux 14ème et 15ème siècles, ils s’emparent progressivement de la seigneurie de Pompadour, usant de stratégie matrimoniale, copiant les armes des Lastours (d’azur à trois tours d’argent) et récupérant les droits des Pierre-Buffière en 1298 : Geoffroi Hélie est dit damoiseau de Pompadour en 1335, Ramnulphe s’intitule seigneur de Pompadour à la mi-14ème siècle, et Jean abandonne le patronyme Hélie à la mi-15ème siècle. Le château est considérablement agrandi au cours des 15ème siècle et 16ème siècle, au moment de l’apogée de la maison Hélie de Pompadour, Antoine Hélie de Pompadour se fait céder en 1508-1513 la puissante vicomté de Comborn par le dernier vicomte, dont il est le créancier : les maîtres de Pompadour arborent désormais le titre de vicomte de Comborn et de Pompadour. 14
Le nom de Pompadour devient mondialement célèbre grâce à la favorite de Louis XV, Madame Le Normant d’Étiolles à qui le roi fait don du château de Pompadour et du titre marquise qui lui est associé en 1613. 15
Malgré mon handicap je fais environ 10 kilomètres à pied. Je dîne à la brasserie des Remparts.